n°3 Patrimoine et immigration


Oeuvre de Joan Jordà

Editorial :

Pour leur troisième livraison, Les Cahiers de Framespa explorent la thématique du patrimoine au regard de l'immigration. Plusieurs lectures transversales parcourent le dossier. D'abord, bien sûr, quant aux populations concernées : feuilleté d'un quartier urbain transformé par des vagues d'immigration successives, mémoires en miroir des émigrants et des rapatriés d'Algérie, exil républicain espagnol, apports des étrangers à la culture occitane contemporaine, tension entre traces et effacement dans le cas de la diaspora arménienne, controverses autour du passé coolie chez les Chinois de Tahiti...
Les diverses contributions interrogent la notion même de patrimoine dans son articulation à la question de l'immigration ou, plus largement, des migrations. Articulation complexe, qui ne va pas de soi - le but de ce recueil est moins d'ailleurs de conforter l'idée d'un patrimoine de l'immigration que de le discuter, d'en sonder les contours et peut-être les risques. Qui, en effet, peut reconnaître un tel patrimoine, qui l'institue ? Au profit de quels groupes ? Qui se l'approprie, par quels canaux ? Quels sites retenir, quel flux mettre en exergue ici ou là ? Autant de questions qui obligent à expliciter les transformations de la visée patrimoniale et de ses usages sociaux.
Lieux, parcours, héritages de l'immigration ; patrimoine matériel et immatériel, par la transmission réciproque de pratiques culturelles, contribuant à transformer ce que l'on tient pour autochtone. Mais l'imaginaire social peut jouer à l'inverse pour empêcher d'y voir une culture commune, et ces blocages sont analysés. L'immigration ayant irrigué tous les territoires, jusqu'à très petite échelle, l'appropriation de ce passé recouvre une dimension régionale voire vraiment locale. La relation entre histoire, mémoire et reconnaissance passe de ce fait par une multiplicité d'acteurs - institutions culturelles, collectivités territoriales, associations, habitants, communautés, etc. - dont les articles parlent tour à tour.
Un autre axe de lecture touche aux dispositifs mis en œuvre. Restitution ethnographique de la genèse d'un musée (le Centre du Patrimoine arménien de Valence), ou réflexion sur les modes d'élaboration d'expositions temporaires (sur les migrations entre Maghreb et Dauphiné ou sur le Centre d'Accueil aux Français d'Indochine de Sainte-Livrade-sur-Lot). Projets à l'échelle régionale ou logique de proximité dans l'exemple de modestes randonnées urbaines en banlieue toulousaine. Evénement festif pour citadins déracinés sur les traces des charbonniers italiens, ou patrimonialisation impossible d'une figure historique qui divise plus qu'elle ne soude une communauté ethnique... Autant d'expériences particulières permettant d'entrevoir quelques évolutions en cours.
La journée détude à l'origine de cette publication a bénéficié du soutien de l'ACSE et de la DRAC Midi-Pyrénées


Laure Teulières