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3. Mercedes Blanco, "La revolución gongorina (1613-1630)"
Compte-rendu de séminaire par Jean Croizat-Viallet.
Le jeudi 17 décembre 2009 s'est tenu à Madrid, au siège de la Fundación Ortega y Gasset, le deuxième séminaire organisé par la Casa de Velázquez et coordonné par le professeur Mercedes Blanco, dont le thème était : « La revolución gongorina (1613-1630) ».
Nous avons eu le plaisir et l'honneur d'écouter les personnes les plus autorisées et les plus compétentes actuellement sur ce vaste sujet : Mercedes Blanco qui s'est intéressée à la polémique antigongorine née en 1613 et dont elle a tracé les grands traits jusqu'en 1630 ; Jesús Ponce Cárdenas qui a centré son intervention sur une œuvre de Góngora largement méconnue du public : le Panegírico al duque de Lerma ; enfin, Antonio Carreira qui a commenté exemples à l'appui les traits spécifiques de la poésie de Góngora.
Chaque intervention a été suivie d'un débat dont le moins qu'on puisse dire est qu'il invite à relire et revisiter une des oeuvres les plus singulières de la poésie espagnole.
Comme c'est la coutume chez nos amis espagnols, le débat d'idées a pris la forme d'un échange de vues d'une grande courtoisie et d'une grande fermeté et d'une non moins grande rigueur scientifique (et philologique), commencé à la suite des interventions des ponentes .
Je me propose de résumer rapidement ce qui s'est dit.
Mercedes Blanco a repris le gros dossier des textes polémiques né avec El Polifemo et les Soledades. Elle a insisté sur le fait que l'historiographie est encore l'héritière d'une prévention dont Menéndez Pelayo est en grande partie responsable (Don Marcelino n'aimait pas Góngora). La division entre culteranos et conceptistas est artificielle, et de fait, elle n'a jamais eu lieu historiquement. D'une part parce que les deux camps - culteranos et conceptistas - sont très inégaux (au point même qu'on est en droit de se demander s'il y avait des conceptistas assez nombreux pour s'opposer au camp des culteranos), et d'autre part parce que le débat n'est pas entre une langue marquée par les latinismes et une pratique de la poésie tournée vers le seul prestige du concepto. Par quelques exemples très précis, Mercedes Blanco a montré que ce qui est en jeu, c'est sans doute le crédit d'un poète extrêmement conscient et maître de sa langue, exigeant à l'égard de son public, bon et même très bon connaisseur de la littérature classique et humaniste, et convaincu qu'il faut donner à la langue espagnole une dignité comparable à celle que Virgile a donnée au latin. A l'horizon se profile une conscience d'écrivain moderne dont Góngora est incontestablement un précurseur et qui réclame un lecteur capable de faire la part entre la rhétorique d'ornementation et la poétique.
Jesús Ponce Cárdenas avait une tâche ingrate : sauver de l'oubli une œuvre de commande, suspecte de répondre plus à des intérêts personnels qu'à la volonté de faire œuvre poétique. Ce n'est pas un petit mérite de la part de Jesús Ponce d'avoir montré que le Góngora du Panegírico n'est pas d'une autre eau que celui des Soledades. Bien plus, notre collègue a montré que cette œuvre mérite un intérêt nouveau, justifié par l'analyse des sources de ce genre littéraire que Góngora connaît, exploite et transforme. Dans un second volet, Jesús Ponce montre que le poème de Góngora a durablement (au moins pendant un siècle) influencé le genre du panégyrique en espagnol.
Antonio Carreira intervenait en dernier pour mettre en relief les traits spécifiques de la poésie de Góngora. Avec le talent et la modestie (no exenta de ironía) qu'on lui connaît, Antonio Carreira a réaffirmé, preuves à l'appui, ce qui sont, depuis qu'il l'a écrit, des évidences :
qu'il n'y a pas de différence substantielle, ontologique, entre un Góngora satirique ou burlesque et un Góngora sérieux. Les mêmes effets de style, les mêmes figures apparaissent dans les deux poésies ;
que la renommée de Góngora est générale et immédiate dès ses premières poésies (on le surnomme alors « el poeta Mesías ») ;
que cette popularité n'est pas de mauvais aloi mais répond bien à un talent poétique exceptionnel dont Góngora ne tarde pas lui-même à prendre conscience. Rien de ce qu'il écrit n'est en soi original par les thèmes qu'il aborde mais sa « main » n'a pas d'équivalent, sa langue est inédite, et c'est comme telle que son œuvre a été reçue du public.
De ce séminaire particulièrement riche et séminal, malgré le petit nombre des participants, je retiendrai personnellement cette tension qui semble traverser toute l'œuvre de Góngora , aussi bien à l'époque où il écrit qu'au moment où nous le lisons, entre tradition et innovation : un poète d'une très grande culture, fin connaisseur de la poésie latine, espagnole et italienne, et un poète qui, remaniant ces divers matériaux, peut prétendre à être, sinon un « commencement absolu », un nouveau départ pour la langue espagnole dans son expression poétique.
Jean Croizat-Viallet (Equipe 7 de FRAMESPA)