Repenser le lien social

Publié le 14 novembre 2007 Mis à jour le 3 décembre 2012
du 8 février 2008 au 7 mars 2008
9h-17h
Maison de la recherche
Salle AR 106
Responsables : Michel Bertrand, Claire Judde de Larivière

Programme
9h-12h

Michel Grossetti (Lisst-Cers, Toulouse),
« Les formes du lien : relations, médiations, collectifs, réseaux »

Jean-Pierre Albert (Centre d'Anthropologie, Toulouse)
« Liens sociaux et lien social : entre faits et valeurs »

14h-17h

José Mari Imizcoz Beunza (Universidad del Pais Vasco).
« Le lien social : une approche depuis l?Histoire »

Guido Alfani (Università Bocconi, Milan)
« Compérage et formalisation des liens sociaux »

Présentation
La question du « lien social » renvoie à celle des appartenances, des affiliations et des relations qui unissent entre eux des individus et contribuent à la constitution des groupes sociaux. En ce sens, le « lien social » constitue une composante essentielle des sociétés, à savoir, dans une acception générale, ce qui permet de faire tenir un « corps social », et dans un sens spécifique, l'ensemble des relations sociales entre les composantes de ce corps.
Cette juxtaposition des deux termes peut sembler redondante, tant celui de « lien » implique le regroupement, l'association. Quant au terme « social », il renvoie par définition aux relations entre individus.
Dans l'expression « lien social », qui ne se banalise que très récemment dans les sciences sociales, au cours du dernier quart du XXe siècle, le substantif « lien » est générateur d'un faisceau complexe de sens. Sémantiquement, le terme désigne un corps physique dont la fonction est d'assembler deux, ou plus, éléments matériels antérieurement séparés ou sans connexion d'ordre naturel (Littré). Au sens figuré, celui que l'on retiendra ici, il identifie les êtres humains en « société », dans des situations d'échange ou de rapports interpersonnels. Si le « social » n'est certes pas réductible aux seuls liens qui s'instituent entre ses constituants, la catégorie « lien social » permet avant tout d'aborder la société à partir d'une approche relationnelle, c'est-à-dire centrée sur les dynamiques qui la traversent. Ainsi définie, la catégorie « lien social » est une manière d'envisager l'étude du social sans se limiter à identifier les groupes ou les acteurs sociaux, c'est-à-dire les structures, mais en s'intéressant bien aux relations - aux « liens » - qui les relient.
Ainsi envisagé, le lien social prend inévitablement des formes multiples, tant il permet d'identifier des relations de natures très diverses. Sur la base du schéma aristotélicien de la « philia », on pourrait considérer qu'il existe trois grandes formes, ou types, de liens sociaux. Une première renvoie aux liens que l'on pourrait qualifier d'« involontaires » c'est-à-dire tissés en vertu de l'appartenance à une « communauté », de quelque nature qu'elle soit - familiale, tribale, de classe, de paisanaje... A l'opposé, on pourrait identifier les liens nés de choix « volontaires » posés par les acteurs sociaux, à l'image des liens affinitaires, qu'ils soient d'ordre politique, affectif, intellectuel ou culturel. Enfin, une dernière catégorie renverrait aux liens « nécessaires » ou imposés, prescrits par le fait de vivre dans une société spécifique, à l'image des liens économiques construits par le marché ou le travail, des liens spirituels - parrainage, compérage -, religieux ou de protection, comme le clientélisme. Si ces liens peuvent avoir un contenu égalitaire, ils peuvent aussi s'inscrire dans une relation hiérarchique et inégalitaire, alliant la domination à la soumission. 
Cette typologie, sans doute sommaire, permet toutefois de distinguer entre des liens acquis et/ou capitalisables et donc transmissibles, et des liens construits. Une telle distinction mériterait peut-être de réfléchir à la nécessité de recourir à une terminologie différente qui rende compte de cette dualité, tant chacun d'eux place l'acteur social dans des positions radicalement autres au moment de mesurer son « capital relationnel ».  De la même manière, il serait sans doute utile de réfléchir aux apports que suppose l'usage de la catégorie par rapport à celle, plus traditionnelle mais particulièrement riche d'un point de vue historiographique, de sociabilité.
L'élaboration d'une typologie des liens sociaux est sans doute un préalable nécessaire à l'analyse de la catégorie afin d'en mesurer le caractère opératoire. Elle ne saurait pourtant suffire au moment de mener une réflexion sur son contenu. Celle-ci suppose aussi la prise en compte de facteurs temporels, tant le propre du lien social se situe dans sa variabilité chronologique. La dimension qualitative du lien social doit ainsi être prise en considération. Elle se traduit par une intensité plus ou moins forte mesurée aussi bien en termes de quantité d'échanges générés grâce au lien qu'en termes de durée d'existence - et donc de possibilité d'activation - de ce lien.
Par ailleurs, le lien social ne saurait s'exprimer sous la forme d'une valeur exclusivement positive ou négative. Il s'inscrit certes d'abord, et presque spontanément, dans le cadre d'échanges exprimant une proximité et donc une volonté d'aide ou d'assistance. Mais il peut de la même manière ouvrir sur des antagonismes susceptibles de déboucher sur la possible destruction du lien considéré. En ce sens, la prise en compte du conflit, et donc de la crise, est partie prenante de la réflexion sur le lien social.
Enfin, au-delà de la typologie, de la qualité et de l'intensité du lien social, se pose la question des conditions rendant possible l'apparition, ou mieux la production, de ce lien social. Si l'on admet que le lien social définit et conditionne l'appartenance à un groupe social, il peut évidemment participer à l'exclusion de ce groupe. Dès lors, comment passe-t-on de l'inclusion à l'exclusion ? Où se situe la « frontière » ? Comment se matérialise-t-elle ? Ne débouche-t-elle pas sur un sentiment d'appartenance, renvoyant inévitablement alors à la problématique de l'identité ? A ce stade, le lien social, qui se fonde sur des valeurs partagées, une adhésion à des mythes fondateurs communs ou la conscience d'un intérêt collectif commun, ne serait-il pas finalement qu'une reformulation contemporaine de ce que l'on appelait plus classiquement l'idéologie dominante ?

Cette journée d'étude, rassemblant historiens, sociologues et anthropologues, devrait permettre d'apporter des réponses à ces différentes questions, en cherchant à établir :
- les définitions possibles du « lien social », entendu dans son acception générale ou dans ses sens particuliers (le lien social vs les liens sociaux) ;
- l'historicité d'une telle terminologie, en histoire, sociologie et anthropologie en particulier ;
- une typologie des différents types de liens ;
- les évolutions ou variations chronologiques de la définition du lien social, du Moyen Âge à l'époque contemporaine ; les variations géographiques.

En bref, il s'agira de réflechir à la spécificité du concept de lien social par rapport à des notions telles que « relation sociale », interactions, sociabilités... afin de déterminer la pertinence d'un tel concept, et sa dimension heuristique.