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Teulières Laure, entretien (MPP 9)

Publié le 19 décembre 2007
Le choc des images de l'immigration

 

Auteur d'un ouvrage collectif restituant une mémoire visuelle de la présence des immigrés dans le Sud-Ouest, l'historienne Laure Teulières pense qu'il reste encore beaucoup à faire: retrouver toutes les traces qu'ont laissées ces populations et rendre visible leurs lieux de mémoire emblématiques.

 

 Midi-Pyrénées Patrimoine Quels sont les enjeux de la mémoire coloniale enFrance? Laure Teulières On sait la place qu'a prise depuis quelque temps dans le débat public la question de l'héritage colonial. Singulièrement à partir de 2005, année du «choc des mémoires» comme cela a pu être dit, avec l'appel des «Indigènes de la République» en même temps que la loi sur le «rôle positif» de la présence française aux colonies. Sans oublier, depuis, les polémiques quant à divers projets de musées ou de mémoriaux, ou encore la médiatisation de la figure de l'ancien combattant colonial grâce au succès du film Indigènes. La mémoire est bien là, mais très conflictuelle, partielle, portée par des groupes parfois antagonistes, et toujours travaillée par des enjeux d'actualité. Ceux-ci ne sont pas aussi immédiatement perceptibles en Midi-Pyrénées que dans le Languedoc voisin ou dans les ports de Bordeaux ou de Marseille, dont le développement est très lié à ce passé. Sud-Ouest porte des outre-mers  souligne cependant que cette histoire-là a pesé partout. Elle est toujours susceptible de réveiller certains stéréotypes. Elle peut aussi être instrumentalisée, dans un sens ou dans un autre, et servir de grille d'explication pour des phénomènes sociaux actuels. En l'occurrence, selon l'analyse de Paul Ricœur, l'absence de mémoire comme le «trop de mémoire» éloignent tout autant de l'histoire. mpp Comment cet ouvrage  s'inscrit-il dans l'histoire de l'immigration? l. t. Celui-ci offre un panorama très synthétique de cette histoire. Il se nourrit donc de tous les travaux historiques réalisés jusqu'à présent. La recherche sur l'histoire de l'immigration s'est beaucoup développée depuis une trentaine d'années, même si toutes les vagues migratoires et toutes les périodes ne sont pas encore également explorées. La connaissance a pu progresser grâce à plusieurs générations de spécialistes et à quelques centres d'étude, comme l'équipe Diasporas -dont je fais partie- au sein du laboratoire framespa de l'université de Toulouse. L'angle d'approche du livre, c'est de couvrir les immigrations «des Suds», coloniales et postcoloniales surtout. C'est donc une entrée particulière au sein de l'histoire de l'immigration. Si le cadre d'ensemble est ainsi posé, il reste bien des choses à approfondir dès que l'on considère un territoire donné, sur l'arrivée des populations maghrébines dans les années 1950-1960 par exemple, ou encore sur les réseaux issus de l'Afrique subsaharienne. Certaines archives commencent à peine à être disponibles. Le travail demande à être poursuivi dans le détail.mpp Quel a été l'accueil de ce livre? l.t. Il faut préciser que la réalisation puis le lancement de l'ouvrage ont bénéficié du soutien de nombreux partenaires institutionnels. On peut y voir une volonté d'aider à mieux faire connaître cette histoire, notamment grâce aux événements culturels qui ont accompagné la publication (présentation à la médiathèque Cabanis ou à l'hôtel de Région). Et le livre a su rencontrer un public en librairie. Pour autant, l'impact d'ensemble reste très modeste, rien à voir avec un documentaire sur le même sujet qui passerait sur une chaîne de télévision. Il faut maintenant espérer que le livre pourra être un support dont se saisiront les enseignants ou les associations pour aborder et illustrer ces questions; diffuser des informations qu'il contient, mais aussi s'en servir pour ébranler des idées reçues. C'est ainsi qu'il pourra peut-être avoir une certaine influence et être autre chose qu'un beau livre à feuilleter.mpp Cette publication, qui offre une visibilité aux immigrations des Suds, n'est-elle pas qu'un coup de projecteur isolé? l.t. Oui, c'est bien un coup de projecteur, car le livre est construit à partir de l'image, autour d'une iconographie très riche et souvent inédite. Son intérêt majeur est donc de restituer une mémoire visuelle de cette présence de l'immigration extra-européenne du xixe siècle à nos jours. En même temps, il y a un risque de l'image, car elle peut conduire à surévaluer tel ou tel aspect des choses tandis que d'autres réalités, pourtant importantes à l'époque, n'ont quasiment pas laissé de traces photographiques. Le texte est censé équilibrer ce que nous laissent voir les illustrations, ce qu'elles nous cachent parfois comme l'arbre peut cacher la forêt. Des prolongements sont bien sûr envisageables. Une exposition tirée de l'ouvrage circule d'ailleurs dans les bibliothèques ou centres culturels toulousains. Dans la perspective générale de mieux partager l'histoire de l'immigration comme une part essentielle de celle de notre pays ou de notre région, on pourrait imaginer repérer certains lieux emblématiques -l'association Génériques propose ainsi différents itinéraires autour de l'histoire de l'immigration à travers Paris. Une expérience similaire pourrait être conduite à l'échelle d'une région, même si ce ne serait pas sans difficultés ni questionnements. Ceci étant, la mémoire ne se décrète pas. Des travaux scientifiques peuvent restituer des données historiques, mais au-delà, l'appropriation du passé par le(s) public(s), est une tout autre histoire...¶