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ATELIER 1 : « Transmettre »

Publié le 14 mai 2008 Mis à jour le 8 octobre 2009
ATELIER 1 : « Transmettre »

Transmettre (transmission du savoir / transmission des coutumes et des valeurs sociales et morales / transmission des pouvoirs) dans l'Espagne du Moyen Âge et du Siècle d'Or (Littérature, Chroniques, textes gnomiques, documents d'archives)

Il s'agit d'analyser cette mobilisation permanente de la mémoire collective qu'est la transmission, qui contribue, de façon implicite ou explicite, à la construction sociale et d'étudier ce qui, dans le discours (la langue, les textes), est transformé par la transmission.

Étudier la société du Moyen Âge et du Siècle d'Or espagnol à travers sa littérature et ses autres manifestations culturelles donne un champ d'observation privilégié sur l'acte de « transmettre », en donnant le recul nécessaire pour évaluer dans la durée les stratégies sur lesquelles se fonde la pérennité d'une société, s'assure sa survie institutionnelle et s'exprime son système de valeurs. Par « acte de transmettre », nous entendrons ici la transmission, d'une génération aux suivantes, réalisée de façon consciente ou par osmose, du capital de valeurs culturelles de la société, et non pas spécifiquement la transmission du savoir, encore que cet aspect ne soit pas exclu de notre champ d'observation. Nous nous centrerons sur la transmission comme transfert de significations plutôt que de contenus, comme passage de messages à travers le temps, et non pas à travers l'espace (communication), envisageant la transmission comme ce par quoi une communauté s'institue et réorganise son passé. Les institutions telles que l'Église, l'Université, la Famille transmettent non pas un contenu fixe, mais une perpétuelle reformulation de la vision symbolique du monde sur laquelle repose leur existence. Par ailleurs, continuité ne signifie pas immuabilité et la transmission s'assure dans et par les changements qui opposent les nouvelles générations aux anciennes. On étudiera, dans une perspective littéraire ou « civilisationniste », comment sont remaniées au fil du temps les références collectives sur lesquelles se construisent les identités et le rapport au monde des individus (travaux d'A. Canovas, doctorante, et de C. Gonzalez, PR).

Les discours de l'historiographie au Moyen Âge espagnol, période de reconquête territoriale et donc de restructuration identitaire intense, reflètent clairement ces glissements symboliques qui transforment peu à peu la nature du récit historique, phénomène particulièrement observable dans la fondation de monastères jalonnant la progression militaire du monde chrétien. Étudiés sous un angle littéraire, dans les procédés rhétoriques et narratifs de leurs versions successives, ces textes permettent de configurer les fondements idéologiques et artistiques sur lesquels se construisent ces stratégies de transmission (travaux d'A. Arizaleta, PR), M. Baron, S. Jean-Marie, post-doctorante, L. Gaffard, doctorante).

L'Église, en tant qu'institution majeure de transmission d'un capital culturel et idéologique est un terrain d'observation de choix des stratégies de transmission. Le précédent axe de recherche de notre équipe (« La figure du saint et ses représentations ») nous a conduits à poursuivre maintenant de façon plus générale l'étude de ces stratégies culturelles, c'est-à-dire à approfondir le concept de « transmission » dans les textes liés à la religion. Toute religion mobilise une mémoire collective, mais le propos de l'Église, dans l'Espagne tridentine et post-tridentine plus encore qu'à d'autres périodes, est de relier les générations de fidèles à leur « origine », leur évitant de tomber dans la rupture du protestantisme. L'Église de la Contre-Réforme éprouve plus que jamais la nécessité de donner un sens à son expérience présente en la rapportant à l'événement fondateur de l'incarnation du Christ. La littérature d'inspiration religieuse - (théâtre catéchétique du XVIe siècle, ouvertement didactique, autos sacramentales liés à la célébration de l'Eucharistie, comedias de santos du XVIIe siècle dont la nature est étroitement liées au système économique de production (revenus des hôpitaux) -, exprime de façon très nette la problématique du « transmettre », triple transmission d'une Révélation, d'une promesse d'accomplissement à venir et du chemin d'une sagesse. Cet exercice d'anamnèse réalise la fondation continue de l'Institution religieuse à travers le temps (Cf. Maurice Sachot, L'invention du Christianisme). Si ce qui fonde la religion, c'est ce qui échappe à l'histoire et qui ressortit au symbole, les textes littéraires en sont des témoins privilégiés (travaux de F. Béziat, MCF, M. F. Déodat, MCF, F. Cazal, PR, E. Garbay, doctorante, N. Gémin, doctorante, F. Gilbert, MCF, L. González Fernández, MCF, L. Linares, doctorante, C. Merique, doctorant, T. Saintier, MCF, D. Reyre, PR).

Les romans et contes traditionnels sont, il va sans dire, un autre lieu d'élection pour la transmission d'une lecture symbolique des liens sociaux. On cherchera donc à évaluer, à travers l'élaboration littéraire, les réseaux de représentations qui placent chaque personnage dans un rôle social déterminé (M. Moner, PR, et P. Darnis, post-doctorant). F. Raynié (post-doctorante) qui travaille sur la prose de Lope de Vega peut s'inscrire dans la perspective bien connue de l'enseñar deleitando.

La transmission du savoir, dans ces supports spécifiques que sont les dictionnaires et les ouvrages scientifiques, s'opère selon des procédés qui, pour être plus techniques, n'en sont pas moins marqués par des motivations idéologiques repérables par une analyse méthodique des énoncés proposés. Les dictionnaires au Siècle d'Or ne cherchent pas à communiquer une information objective, mais ils transmettent aussi une version symbolique de la société (travaux de D. Reyre et J. Croizat-Viallet (MCF). Il nous appartiendra, au cours de cette réflexion sur la transmission, d'identifier les savoirs qui sont plus valorisés que d'autres et d'évaluer ce qui, dans les dictionnaires au Siècle d'Or, appartient à la simple diffusion d'un savoir ou à la transmission chargée de valeur symbolique.

Mais parmi tous ces véhicules du capital culturel, il en est un qui reflète l'idéologie d'une institution particulièrement importante pour la transmission sociale, la famille : il s'agit des proverbes (travaux de A. Gallego, F. Cazal). Dans ce continuum de transmission qu'est la parémiologie, la publication des 25 000 proverbes du Vocabulario de refranes y frases proverbiales de Gonzalo de Correas en 1627 présente une « coupe géologique » qui donne un état précis et daté de ce capital de sagesse populaire. Le savoir gnomique est, en soi, un terrain d'élection de la symbolisation exprimée dans l'acte de transmettre et se trouve ici poussé à l'extrême et réalisé, de surcroît, de façon orale, avant d'entrer dans cette compilation écrite. Mais Correas accompagne sa collecte de nombreux commentaires explicatifs, dont la fréquence est directement proportionnelle à la difficulté d'interprétation de ces énoncés, dont certains deviennent promptement caducs et obscurs, car étroitement liés à un contexte. La transmission opérée dans les proverbes est l'objet des commentaires de Correas, avant que ces commentaires ne deviennent, à leur tour, un objet privilégié pour qui étudie le Siècle d'Or. Dans les proverbes, le capital culturel est intégré à l'usage linguistique et transmet des habitus qui se reproduisent de génération en génération, par osmose. On pourrait, en particulier, tenter de distinguer quelles sont les diverses « voix » qui s'expriment dans les énoncés parémiologiques. Il serait également intéressant de mettre en regard le message délivré par les proverbes sur la vie en société et celui que préconise l'Église (portant sur la morale), afin d'en relever les contradictions (voir la distinction établie par Abram Kardiner entre ces deux aspects de la transmission culturelle : celle qui est portée par les institutions « primaires » - la famille - et est acquise précocement et celle qui est portée par les institutions « secondaires » - la religion, la loi, imposées plus tardivement). Tout ceci sans oublier que l'héritage des sentences populaires est aussi un héritage littéraire, qui propose une grande richesse de formulation.

Enfin, sur tout type de supports, il existe un discours au Moyen Âge et au Siècle d'Or espagnols sur la transmission inter-générationnelle, sur l'héritage, au sens étroit ou au sens large. Cette thématique entre, bien entendu, elle aussi dans notre approche, en tant que telle, et se retrouve d'ailleurs même sur le plan de l'histoire littéraire qui est aussi parfois le terrain d'une transmission/affrontement générationnelle (travaux d'A. Coll Sansalvador, post-doctorant), sur J. del Encina et L. Fernández).

Sur le plan de la forme littéraire, M. Guell, PR, spécialiste de la poésie du Siècle d'Or récemment nommée au Département d'Espagnol, travaille sur la transmission des rimes poétiques (chantier : Transmettre la poésie, ou l'étude de la mémoire des rimes).

Modalités d'approche : étude du fonctionnement de la transmission
Sont étudiés :
1. les enjeux, les motivations de la transmission
2. les techniques et les méthodes de la transmission
3. les vicissitudes de la transmission