Comptes-rendus Midi-Pyrénées Patrimoine

Publié le 18 décembre 2007 Mis à jour le 26 janvier 2008

Carte archéologique de la Gaule
Le cap des 100 en Haute-Garonne
Encore deux! Les numéros 100 et 101 de la série de la Carte archéologique de la Gaule viennent de paraître. Ils concernent tous deux la Haute-Garonne (Robert Sablayrolles et Argitxu Beyrie pour le Comminges, Julie Massendari pour le reste du département). Un troisième volume portera sur Toulouse à la fin de 2007.
Au fait, qu'est-ce que la Carte archéologique de la Gaule? Une entreprise commencée il y a une vingtaine d'années et poursuivie sans relâche sous l'impulsion de Michel Provost. Collection patronnée et financée par l'Académie des inscriptions et belles-lettres (l'«Institut»). On y recense, département par département et commune par commune, toutes les attestations de la présence et de l'activité humaine en France, de 800 av. J.-C. à 800 ap. J.-C. Il existe en principe une carte par département, et les / environ du territoire sont actuellement couverts. Si le n°100 vient d'être dépassé, c'est que parfois la richesse des données est telle que deux, voire trois cartes ont été nécessaires, comme pour la Haute-Garonne. Pour l'Aude par exemple, une carte spécifique a concerné Narbonne (Eric Dellong et al.), une autre est en préparation pour le reste, très riche, du département (P. Ournac et al.).
Que trouve-t-on dans les volumes de la Carte? Ouvrons ceux de la Haute-Garonne. Une mise en place géographique et géologique, des synthèses historiques par périodes et par thèmes. Pour chaque site, une bibliographie et une historiographie complètes depuis les premiers signalements, parfois fort anciens, mais pas de «coordonnées Lambert» pour éviter le pillage des vestiges par des clandestins ou les dévastations dues aux chercheurs de trésors. Une mise au point sur l'état des connaissances. Sur quelques grands sites (Martres-Tolosane et la fameuse villa de Chiragan, ou Saint-Bertrand-de-Comminges par exemple), de véritables monographies atteignent plusieurs dizaines de pages richement illustrées. Des objets fameux, comme les torques d'or de Fenouillet, donnent lieu à une étude par des spécialistes.
Les auteurs de ces ouvrages sont soit des chercheurs reconnus, soit des doctorants ou de jeunes docteurs, soit une équipe. Ils bénéficient de l'apport des archéologues locaux, qui rédigent et signent souvent les notices consacrées à «leur» commune. De nombreux index permettent à l'amateur comme au spécialiste de trouver le renseignement recherché. Des services régionaux de l'Archéologie, sollicités pour l'information qu'ils recueillent et archivent, mais aussi des conseils généraux, soucieux de la «vitrine» touristico-culturelle de leur département, ont participé financièrement à ces publications. Cette collection, essentielle pour notre histoire comme pour les recherches futures, beaucoup de pays nous l'envient. À l'automne, une «Fête du n° 100» sera organisée à Toulouse autour de Michel Provost. Heure des bilans, bien sûr, mais surtout des comparaisons avec l'étranger et, plus encore, des projets d'avenir pour une meilleure exploitation scientifique et patrimoniale de l'immense documentation rassemblée.
Carte archéologique de la Gaule. La Haute-Garonne (hormis le Comminges et Toulouse) | Julie Massendari | 31/1 | Paris | Académie des inscriptions et belles-lettres | 2006 | 400 pages | 30€.
Carte archéologique de la Gaule. Le Comminges | Robert Sablayrolles et Argitxu Beyrie | 31/2 | Paris | Académie des inscriptions et belles-lettres | 2006 | 520 pages | 40€.

Les paysages de l'Aveyron, du grand panorama à la petite fleur
Les éditions du Rouergue ont confié à Gérard Briane et Didier Aussibal, ainsi qu'à une dizaine de collaborateurs largement interdisciplinaires, un ouvrage de plus de 300 pages, remarquablement illustré, sur les «paysages de l'Aveyron». C'est une réussite. Voilà un travail robuste, en profondeur, parfaitement raisonné, qui nous change de l'habituelle superficialité des publications consacrées au paysage. Sont évoqués ici des pays et des patrimoines multiséculaires mais toujours vivants ainsi que les enjeux de leur modernisation.
Le corps de l'ouvrage est constitué par les analyses approfondies des multiples entités paysagères aveyronnaises: Ségala, Levézou, Causses, Aubrac, Camarès... Chacune d'entre elles est fouillée dans le moindre détail et abondamment décrite et figurée par une iconographie d'une exceptionnelle qualité; en particulier des blocs-diagrammes paysagers d'une parfaite lisibilité, des cartes d'ensemble, des plans et des croquis d'architecte. Les photographies alternent grands panoramas et objets caractéristiques (fleurs, linteaux...); elles éclairent et allégent un texte parfois pesant à force de précision.
Le patrimoine n'est jamais l'objet d'une présentation séparée: il est partout, bien vivant et les Aveyronnais le vivent quotidiennement. Ils le retrouveront et se retrouveront dans ce très beau livre qui parle d'eux, de leur passé comme de leur avenir. Un ouvrage savant sans pédanterie qui vaut tous les guides de voyage.
Paysages de l'Aveyron. Portraits et enjeux | Gérard Briane et Didier Aussibal | Rodez | Éditions du Rouergue | 2007 | 336 pages.

Domitien le Palladien
Un bienfaiteur de Toulouse
L'empereur Domitien a mauvaise presse. Moins tristement célèbre que Caligula ou Néron, le troisième et dernier souverain de la dynastie flavienne (81-96) figure néanmoins au nombre des empereurs romains maudits par la tradition, qu'elle soit païenne ou chrétienne. Il a été si maltraité par Tacite et Suétone qu'aucun mérite n'a été reconnu à ce «tyran» liquidé par un complot de palais.
Voilà pourtant quelque temps que l'importance de l'œuvre urbaine et impériale de cet empereur a été remarquée. Il a transformé Rome, à l'égal ou presque d'un Auguste. Il a ouvert le Sénat à la moitié grecque de l'Empire. Il s'est préoccupé du sort des habitants des provinces. C'est pourquoi un numéro spécial de la revue d'études antiques de Toulouse, Pallas, lui a été consacré en 1994 sous le titre: Les Années Domitien.
Un aspect particulier et original restait pourtant à explorer. Il s'agit de l'exceptionnelle dévotion manifestée par le dernier Flavien envers la déesse Minerve (Athéna), sous sa forme et son nom spécifiquement athéniens de Pallas. L'ouvrage bref mais éclairant de Ginette Dubosc comble cette lacune. L'auteur montre la force et la cohérence de la vénération vouée à Pallas par Domitien, jusque dans son trépas. C'est à cette dévotion qu'est due l'appellation de palladia, «palladienne», conférée à la ville romaine de Tolosa à la même époque, et dont témoigne une épigramme du poète romain Martial. En renommant la ville du nom de sa déesse favorite, Domitien lui conférait l'honneur de porter le titre de colonie romaine.
Il faut remercier Ginette Dubosc de nous donner une interprétation d'ensemble d'un parcours politico-religieux aussi singulier. En espérant qu'un jour, bravant les caricatures et les idées reçues, la municipalité toulousaine saura rendre à l'un des plus grands bienfaiteurs de la ville l'hommage qui lui est dû, celui d'un nom de rue, de place ou de monument.
Domitien le Maudit, empereur dévot | Ginette Dubosc | Nîmes | Lacour-Ollé | 2004 | 470 pages | 23€.

1914-1918 dans l'édition régionale
Léon Hudelle, rédacteur en chef du quotidien toulousain Le Midi socialiste, ayant succédé en 1914 à Vincent Auriol devenu député, a fait la guerre comme capitaine d'infanterie. Il en a ramené une collection de plus de 130 photos aujourd'hui déposées aux archives de l'Aude, qui viennent de les éditer en album sous le titre La Grande Guerre 1914-1918. Photographies du capitaine Hudelle. Elles sont présentées par Rémy Cazals, qui les a replacées dans leur contexte et mises en parallèle avec les articles que le capitaine adressait depuis le front à son journal toulousain. Hudelle fut pendant quelques mois le capitaine du caporal Barthas (que l'on aperçoit sur une photo) en Artois en 1914-1915: ce secteur est représenté par le plus grand nombre d'images, tranchées et cagnas, ruines de villages, corvées et loisirs des soldats. Léon Hudelle et ses hommes des bords de l'Aude et de la Garonne étaient passionnés de rugby: plusieurs clichés le confirment. La limite de la photographie en 1914-1918, c'est qu'elle ne peut montrer le combat. Deux témoignages écrits de combattants sont là pour y suppléer: le carnet d'Arnaud Pomiro et les lettres d'Henri Despeyrières. Ce dernier partit de Toulouse avec le 14e régiment d'infanterie le 6 août 1914 pour une grande aventure qui se révéla rapidement une sombre tragédie. «C'est si triste de mourir à 20 ans», écrivait-il à ses parents, annonçant ainsi sa propre disparition, le 8 septembre 1915, en Argonne. Survivant, parce qu'il eut plus de chance, Arnaud Pomiro avait consigné dans son carnet: «Que c'est bête, insensé, de rester terré, armé jusqu'aux dents en face d'un ennemi également terré, invisible, et cela par la volonté de qui? De quelques têtes couronnées, assoiffées d'ambitions, de quelques misérables qui veulent imposer leurs caprices à des millions d'autres êtres qui valent bien plus qu'eux. C'est le cas de redire plus fort que jamais: ah! que maudite soit la guerre!» Il se trouvait alors dans une tranchée, face aux Turcs, à l'extrémité de la péninsule de Gallipoli...
Les éditions Privat, à Toulouse, ont eu l'heureuse idée de lancer la collection «Témoignages pour l'histoire», qui accueille les textes de Despeyrières et de Pomiro. On y annonce, pour l'automne 2007, la publication des notes du major Prosper Viguier, né à Verfeil, aux bords de l'Aveyron, parti en 1914 avec le 18e régiment d'infanterie de Pau, chirurgien à l'ambulance 8/18 pendant la guerre, avant de devenir le médecin-chef de l'hôpital Larrey à Toulouse.
La Grande Guerre 1914-1918. Photographies du capitaine Hudelle | Carcassonne | archives départementales de l'Aude | 2006 | 128 pages | 20€.
C'est si triste de mourir à 20 ans. Lettres du soldat Henri Despeyrières 1914-1915 | coll. «Témoignages pour l'histoire» |Alexandre Lafon | Toulouse | Éditions Privat | 2007 | 304 pages | 19€.
Carnets de guerre d'Arnaud Pomiro. Des Dardanelles au Chemin des Dames
| coll. «Témoignages pour l'histoire» | Fabrice Pappola | Toulouse | Éditions Privat | 2006 | 400 pages | 19,50€.

Amphithéâtre romain de Purpan-Ancely
Nouvelle salle de spectacle toulousaine
Reconnu dès le xvie siècle, qualifié d'amphithéâtre romain un siècle plus tard, ce n'est qu'au xixe siècle que la Société archéologique du Midi de la France, à l'initiative de quelques savants et mécènes locaux, se porte acquéreur du monument pour en commencer l'étude. Pour la première fois, le bâtiment est abordé scientifiquement, ses dimensions notées et dessinées avec précision et sa composition décrite avec soin.      Durant près d'un siècle le site retomba dans l'oubli, s'évanouissant de la mémoire des érudits locaux jusqu'en 1961, date où Michel Labrousse, universitaire et directeur de la circonscription archéologique de Midi-Pyrénées, chercha à comprendre la nature et la réalité même de ce prestigieux monument de spectacle. En reprenant avec soin les études du siècle précédent, il décrivit l'édifice et son mode de construction. Il évaluait sa capacité à près de 15000 spectateurs et proposait de faire remonter la date de son édification au premier siècle de l'Empire.
De 1983 à 2002, une équipe pluridisciplinaire d'archéologues, d'universitaires et d'architectes, accompagnés d'étudiants, a pris le relais. Il fallait tenter de comprendre l'organisation du monument, son architecture et surtout sa chronologie. L'analyse architecturale des ruines permit de saisir les étapes de sa construction. Les chercheurs datèrent du milieu du 1er siècle de notre ère l'édification d'un monument en maçonnerie de briques qui pouvait abriter 7000 spectateurs. Ce mode de construction tout à fait original en Gaule romaine a nécessité de faire appel à de nombreux ateliers de briquetiers, connus par leurs signatures, qui fournissaient également les autres grands chantiers toulousains, comme le rempart et le théâtre. Au 111e siècle sont rajoutés une dizaine de gradins supplémentaires en bois, qui doublent la capacité. Cet aménagement ne dure que quelques décennies; en effet, les données de la fouille permettent de penser que ce grand édifice de spectacle n'était plus en service à la fin du ive siècle.
Les résultats de ces recherches ont fait l'objet d'expositions et de nombreux articles. C'est en donnant la parole à ces chercheurs que le musée Saint-Raymond -musée des Antiques de Toulouse- édite aujourd'hui ce splendide guide, le deuxième dans la collection, qui nous invite  à plonger dans l'antiquité de Toulouse et de ses environs en nous poussant à redécouvrir l'histoire d'un de ses monuments les plus majestueux, situé à 4 km des murailles de la Toulouse antique, de l'autre côté du fleuve. Les trois grands chapitres de cet ouvrage ont en commun le mot histoire: l'histoire des fouilles, l'histoire de l'édifice, l'édifice dans l'histoire. Cette histoire est autant celle des hommes, gladiateurs, briquetiers ou archéologues, que celle de la ruine, aujourd'hui protégée et mise en valeur par, notamment, l'organisation de spectacles.
Christian Darles
L'amphithéâtre romain de Purpan-Ancely à Toulouse | collection «Guides archéologiques du musée Saint-Raymond» | J.-C. Doumergue/M. Fincker/J.-M. Pailler/Ch. Rico | Toulouse | Éditions Odyssée | 2006 | 64 pages | 7,60€.

L'autre Andorre
La principauté d'Andorre s'est figée au Moyen Âge, elle est l'archétype des petits pays pyrénéens qui ont constitué l'ossature politique de la chaîne. Or, il n'en est rien! Partie du cliché de la société traditionnelle, de l'archaïsme, de l'immobilisme, l'histoire que déroule Olivier Codina Vialette, avec une grande érudition et beaucoup de rigueur, offre le spectacle foisonnant de transformations répétées, du xvie au xixe siècle, dans des espaces emboîtés de l'Andorre aux Pyrénées, de la Garonne à l'Èbre.
La terre, l'élevage, le commerce, la forge, l'organisation politique, sont les principaux champs d'étude, une attention particulière est portée à leurs évolutions et à leurs interactions. L'Andorre est une terre d'accueil et de passage. Sa vitesse d'adaptation aux événements espagnols et français comme aux fluctuations économiques en est la preuve. Elle connaît plusieurs bouleversements. L'un des plus importants est celui qui, à partir du xve siècle et jusqu'au xviie siècle, touche l'élevage ovin (boucherie) et modifie les terroirs. Les systèmes d'exploitation changent, on passe du droit d'orri à la location des cortons (avec une cascade de nouveautés: immixtion du numéraire, apparition des compagnies pastorales, transhumance, oligarchie d'éleveurs qui deviennent les banquiers de la collectivité). Parallèlement, ces éleveurs développent un commerce d'import-export. Certains d'entre eux se lancent dans la sidérurgie.
Mais alors que la société est parfaitement ouverte aux influences extérieures, la représentation politique contrôlée par cette oligarchie se ferme progressivement. Au xviiie siècle, le conflit sur le tabac reflète l'opposition grandissante entre les prohoms et la population. Les premiers ont besoin de privilèges pour maintenir leurs activités pastorales et commerciales (élevage mulassier notamment), les petits producteurs trouvent dans la culture du tabac des revenus supplémentaires. Le Conseil général outrepasse son rôle, d'où la méfiance de la population vis-à-vis de la république des prohoms. Il se voudrait le gouvernement des Vallées, mais demeure l'assemblée des représentants des communes.
La profonde crise qui touche l'économie andorrane au xixe siècle fait éclater le statu quo. L'ascenseur social ne fonctionne plus, la communauté ne joue plus son rôle de soutien. La principauté, aux yeux du monde extérieur, devient un anachronisme institutionnel au siècle du libéralisme et de l'État-nation. Sans réelle conscience politique, incapable de prendre en main son avenir économique, elle revient à la double tutelle épiscopale et française. C'est dans ce contexte de paupérisation que naît l'image d'une société traditionnelle.
Paradoxalement, cette histoire tout en mouvements rend perceptible l'épaisseur du temps bien mieux que l'image stéréotypée du petit pays figé à l'époque médiévale. L'histoire moderne de l'Andorre méritait-elle une nouvelle étude? La lecture de cet ouvrage apporte une réponse positive. Travail majeur pour l'histoire andorrane et pour l'historiographie pyrénéenne, nous tenons là une «histoire globale» qui tord le cou aux clichés sur l'Andorre. Le beau livre d'Olivier Codina Vialette, tiré de sa thèse de doctorat, est accessible à tout lecteur passionné par les Pyrénées; il est publié avec beaucoup de soin et muni d'un index impeccable. Son propos emporte la conviction, et l'on ne peut qu'être admiratif devant la somme de travail, d'archives dépouillées, souvent inédites, révélant la grande qualité des fonds andorrans. Gageons que, après l'avoir lu, bien des personnes cultivées et, pourquoi pas, quelques consommateurs de produits détaxés regarderont l'Andorre d'un œil différent.
Jean Cantelaube
De fer et de laine. Les vallées andorranes du xvie au xixe siècle | Olivia Codina Vialette | Perpignan | Presses universitaires de Perpignan | 2005 | 540 pages | 38€.

Des châteaux forts aux résidences du pouvoir
En octobre 2002 s'est tenu à Pau un colloque sur les résidences aristocratiques entre Loire et Pyrénées réunissant historiens, archéologues des régions Aquitaine, Limousin, Midi-Pyrénées et Poitou-Charentes. Ce colloque faisait suite à une première rencontre à Limoges en 1987, qui avait posé les jalons de la recherche sur le phénomène castral dans le grand Sud-Ouest. Le présent volume reprend les bilans des travaux menés entre 1987 et 2002 dans ces régions et fournit un état des lieux le plus juste possible de la recherche archéologique dans le domaine des résidences aristocratiques.
Les débats de 1987 avaient particulièrement mis l'accent sur la nécessité de procéder à de vastes enquêtes visant à repérer les sites castraux. Plusieurs communications de ce volume répondent à cette exigence: les ouvrages de terre en Midi-Pyrénées et dans le Marsan, l'habitat aristocratique en vallée d'Aspe et dans le Châtelleraudais, ou encore les tours seigneuriales du Quercy ont ainsi fait l'objet d'inventaires, suscitant des réflexions autour des notions de maillages réseau systèmes, ou encore de typologie. Les recherches récentes ont montré que les premiers castra du Sud-Ouest ne se limitaient pas à la motte et que d'autres formes de mise en défense avaient coexisté avec ce type de château. Plusieurs cas sont ainsi représentatifs des formes de la fortification et de la résidence aristocratique dans le contexte de la mutation féodale, c'est-à-dire aux xe-xiie siècles: si le site du Dognon (Limousin) perpétue bien le modèle de la motte castrale, Auberoche (Dordogne) nous offre, au contraire, le cas d'un site perché sur un éperon naturel. Enfin, plusieurs sites ont bénéficié de fouilles programmées qui ont abouti à de solides monographies. Elles ont mis en évidence différentes formes d'habitats aristocratiques durant les xiiie-xve siècles, qu'il s'agisse de castra perchés comme Châlucet (Haute-Vienne), Durfort (Tarn), Mouret (Aveyron) ou Montaillou (Ariège), associant à la résidence seigneuriale (tour, donjon...) un habitat aggloméré, de véritables «châteaux» comme Lauzun, ou même d'une résidence urbaine (la maison canoniale du lycée Ozenne à Toulouse).
L'ensemble de ces communications a donc fait ressortir une grande variété dans les formes de la résidence aristocratique: quel rapport, a priori, entre les sites de Châlucet ou de Durfort, véritables petits villages, le site de Labrit (Landes), et la résidence des chanoines toulousains de la fin du Moyen Âge? Aucun, si l'on s'en tient aux typologies architecturales. Le point commun reste donc principalement le caractère aristocratique des individus qui ont résidé dans ces édifices. D'un point de vue méthodologique, l'originalité de ce colloque est d'avoir posé les bases d'une réflexion globalisante autour du phénomène castral: le château est replacé dans le giron d'une problématique de société et de pouvoirs, ce qui suppose la confrontation des sources archéologiques et écrites et le regard croisés des historiens et des archéologues. Les cas de Châlucet et Mouret sont, à cet égard, exemplaires.
L'ouvrage est divisé en trois grandes parties: les bilans régionaux, les communications du colloque regroupées en trois grands thèmes (réseaux et territoires, autour de la «mutation féodale» des xe-xiie siècles, expressions de la résidence aristocratique aux xiiie-xve siècles) et les sujets d'actualité, classés par régions. Ce partage facilite la lecture et permet de passer du global au particulier, de la monographie approfondie au compte-rendu plus cursif. Enfin, de par l'abondance de l'illustration et sa qualité (carte de situation, carte thématique, plans de fouilles, dessins et photographies en tout genre), le lecteur est en position de bâtir sa propre réflexion à partir de la documentation fournie.
Dimitri Paloumbas
Résidence aristocratique, résidence du pouvoir entre Loire et Pyrénées xe-xve siècles | actes du colloque de Pau 3-5 octobre 2002 | Dany Barraud/Florent Hautefeuille/Christian Rémy | Carcassonne | Éditions du centre d'archéologie médiévale du Languedoc | 2006 | 469 pages | 45€.

Pierre Bayle
Sans doute l'Ariégeois le plus célèbre
Pierre Bayle, bientôt sans doute l'Ariégeois le plus célèbre, a beaucoup de chance en ce début de millénaire où l'on commémore le trois centième anniversaire de sa mort. Cet homme dont la famille fut brisée par la révocation de l'édit de Nantes et qui dut s'exiler à Rotterdam sans espoir de retour, cet auteur que la culture française a pratiquement oublié à partir du xixe siècle, au profit de ceux qui avaient commencé par le lire, comme Voltaire, est en passe de rentrer dans nos dictionnaires, dans nos anthologies, dans la généalogie même des pensées française et européenne. Ces retrouvailles inespérées, il les doit certes à son génie propre, à une liberté et à une audace intellectuelles qui, même aujourd'hui, étonnent. Mais il les doit aussi -et c'est là toute la grandeur de nos institutions savantes- à l'attention inlassable qu'une poignée de chercheurs lui ont consacrée depuis un demi-siècle. Ce fut hier le cas d'Élisabeth Labrousse, c'est aujourd'hui celui, entre autres, de Hubert Bost, directeur d'études à l'École pratique des hautes études à Paris. Bost vient de publier la biographie de Bayle destinée à faire référence (Fayard, 2006). Il rassemble dans le présent ouvrage, certes plus difficile d'accès, une série d'études inédites ou publiées depuis une quinzaine d'années et qui toutes éclairent une face de l'œuvre et des curiosités insatiables de Bayle. C'est une leçon d'érudition et d'intelligence. Un privilège supplémentaire pour le philosophe, au service duquel Bost met son talent, et pour les lecteurs d'aujourd'hui, guidés de manière très sûre dans leur approche d'un moment fondateur de la modernité européenne.
Patrick Cabanel
Pierre Bayle. Historien, critique et moraliste |Hubert Bost | collection «Bibliothèque de l'École des hautes études, sciences religieuses» | Turnhout | Brepols | 2006 | 279 pages | 35€.

Zoom sur le cinéma régional
«Cent ans de cinéma en Midi toulousain» est l'article à lire par les cinéphiles qui découvriront en février la riche programmation de «Zoom arrière», la nouvelle manifestation de La Cinémathèque de Toulouse relative à l'héritage du cinéma.
Les Annales du Midi font paraître une longue étude de Claudette Peyrusse¹ sur un siècle de cinéma régional, centrée sur les films de fiction, plus nombreux qu'on ne le croit. On y suit l'invention des stéréotypes, comme si le cinéma ne pouvait que figer et répéter les images sans modifier ses codes, à l'inverse de la variété, du souci du quotidien, sensibles dans le roman.
Sans doute faut-il incriminer les différentes médiations nécessaires pour qu'un film existe, toujours coûteux, destiné au public le plus large, y compris international. Pour les mêmes raisons, les films régionaux sont pour l'essentiel produits dans le système national, car la région toulousaine n'a pas les moyens de créer des structures de production. De là la galerie des stéréotypes: le Gascon moqué, les silhouettes comiques et populaires authentifiant le décor; et la nationalisation d'emblèmes pourtant ancrés dans l'histoire régionale: les mousquetaires, Henri IV, Bernadette Soubirous, l'Aéropostale. Nos indigènes cancanent avec les canards, mais Bernadette parle sans l'accent local, que la hiérarchie catholique jugea «incompatible avec la dignité du personnage». Le cinéma provincialise ce qu'il n'a pas annexé, alors même que son financement l'a rendu de plus en plus dépendant des régions et de leur promotion.¶1 Deux articles du même auteur ont paru dans Patrimoine Midi-Pyrénées (n°2, janvier-mars 2004) puis dans Midi-Pyrénées Patrimoine (n°1, janvier-mars 2005) consacrés respectivement à un film de fiction muet des années 1920 tout juste restauré (La Grande Passion, d'André Hugon, sur le rugby) et aux romans de la région toulousaine (1800-1870).
«Cent ans de cinéma en Midi toulousain: représentation régionale ou création d'un imaginaire national?» | Claudette Peyrusse | Annales du Midi | t.118 | n° 256 | octobre-décembre 2006 | p.527-556.