Laure Teulières, Les randonnées urbaines en banlieue

Les randonnées urbaines en banlieue

Laure Teulières, FRAMESPA (CNRS, UMR 5136)


Texte intégral :

Basée à Toulouse depuis sa création en 1996, l'association La Gargouille a pour objet la diffusion et la découverte du patrimoine artistique et culturel de Midi-Pyrénées. Sa fondatrice et animatrice, Catherine Beauville, est titulaire d'un diplôme de maîtrise « Métiers du patrimoine et de l'archéologie ». Depuis septembre 2002, l'association propose une formule originale de randonnées urbaines afin de faire découvrir le patrimoine urbanistique et architectural à un public varié : habitants, mais aussi écoles, bibliothèques publiques, fonctionnaires, touristes, etc. Ces « randonnées urbaines pour rafraîchir la mémoire1 », comme l'indiquait le quotidien local, sont construites sur le principe d'une promenade découverte d'un secteur urbain. Un circuit porte sur le quartier Mirail - Reynerie - Bellefontaine. Il permet de présenter la genèse et l'évolution de ce quartier nouveau, créé ex nihilo à partir de 1964 sur près de 800 hectares au sud-ouest de la commune de Toulouse. La conception en revient à l'architecte George Candilis, élève de Le Corbusier, qui voulu créer là sa « cité radieuse » au terme d'un concours national d'urbanisme lancé par la municipalité. Il s'agit d'une véritable ville nouvelle, dans toutes ses fonctionnalités (commerces, bureaux et habitat) articulées selon un strict zonage séparant les flux piétonnier et automobile grâce à une dalle de circulation aérienne. Les grands immeubles - des barres de sept, onze ou quinze étages - sont reliés les uns au autres par des coursives courant le long des étages, conçues au départ comme autant de « rues suspendues ». Il reste aussi des témoignages de l'habitat plus ancien : anciens terrains de maraîchage, maisons de maître autrefois rurales...


L'immigration n'est pas au centre de la visite, mais apparaît en arrière-plan comme un thème transversal récurrent. La guide rappelle le rôle des travailleurs immigrés du bâtiment, espagnols, portugais ou maghrébins, dans la construction de ces grands ensembles. Elle explicite aussi l'évolution sociologique du quartier, la fuite progressive des classes moyennes et le processus concomitant de concentration sur les lieux d'une population plus modeste, voire en difficulté sociale, et souvent immigrée. Elle restitue ainsi dans son contexte le progressif marquage du Mirail en tant que quartier « sensible » ou « à problèmes », jusqu'à la très forte médiatisation lors des émeutes spécifiques de décembre 1998 suite à un fait divers local2 et dans le contexte général de celles de novembre 2005. Situé à l'extérieur du périphérique routier, tout ce secteur connaît aujourd'hui une vaste entreprise de requalification dans le cadre du Grand Projet de Ville (GPV) qui associe démolitions, reconstructions et création d'une voirie routière pénétrante. Le but est de mixer socialement la population présente avec des classes moyennes logées dans les nouvelles résidences. La visite donne donc des clefs pour comprendre les transformations actuelles du quartier et les enjeux de mémoire bien particuliers qui y sont associés. Une brochure présentant des témoignages d'habitants est d'ailleurs en préparation.

Mais au-delà de cette mise en perspective historico-sociologique, l'originalité des randonnées urbaines de La Gargouille est de rendre ces éléments visibles et lisibles au travers d'une visite de terrain. Comme l'animatrice a grandi là, elle nourri ses commentaires de son expérience et de ses souvenirs personnels, ce qui renforce l'impression de pénétrer les lieux « de l'intérieur », introduit par quelqu'un du coin. La visite est itinérante et participative, sur un mode de questions-réponses lancées par l'animatrice, ce qui contribue au passage à faire tomber quelques préventions et pas mal d'idées reçues. En circulant au sein de la cité, on en perçoit de visu la vie sociale : le marché de plein vent et ses bazars maghrébins, les divers commerces « ethniques », les centres scolaires, etc. On découvre aussi la place des immigrants dans le dynamisme du catholicisme local : Africains, Portugais, Espagnols, Libanais, Asiatiques et migrants plus récents issus des pays d'Europe de l'Est. L'église Notre-Dame de Bellefontaine, construite en 1974, est désormais promise à reconstruction du fait des bouleversements urbanistiques, mais l'église de la place Abbal, édifiée en 1978 au coeur de la Reynerie, accueille une assemblée aux couleurs des habitants de la cité. L'évêque de Toulouse lui a d'ailleurs donné récemment le nom de « Saint Paul des Nations », en référence au cosmopolitisme qui la caractérise.

La visite se clôture généralement par la découverte de la Mosquée Al-Salam située en bordure du quartier. C'est un bâtiment acquis par l'Association des Musulmans de Toulouse, affiliée à la Fédération Nationale des Musulmans de France, et transformé en mosquée depuis son acquisition en 1981. Il s'agit en fait d'une ancienne demeure patricienne typique du Midi toulousain, le « château Tabar », autrefois à la tête d'un domaine rural absorbé par l'urbanisation.



Au terme du parcours, le visiteur se trouve confronté à ce réemploi étonnant, évocateur de métissages : l'imposante façade de briques rouges avec son corps central flanqué de deux ailes symétriques rajoutées au XVIIIe siècle, restauré avec soin à l'authentique par l'association cultuelle islamique, devenue... lieu consacré d'Islam !


Mais l'essentiel de l'impression laissée vient peut-être d'une rencontre plus intime, puisque une visite est faite à l'intérieur même des salles de prières, le public de La Gargouille accueilli par la communauté qui a souhaité ouvrir ainsi les lieux.


Notes de bas de page

1 « La Gargouille part à la découverte du quartier Reynerie », La Dépêche du Midi, 1er juillet 2005.

2 Après la mort d'un jeune tué par un policier le 13 décembre 1998, les cités du Mirail ont connu une vague d'intenses protestations et de violences.