Andreu COLL, Carmen Bobes Naves, La metáfora, Madrid, Gredos, Collection: Biblioteca románica hispánica. 2, Estudios y ensayos, 2004, 227 p. ISBN : 84-249-2709-5 br.

Carmen Bobes Naves, La metáfora, Madrid, Gredos, Collection: Biblioteca románica hispánica. 2, Estudios y ensayos, 2004, 227 p. ISBN : 84-249-2709-5 br.

Andreu Coll Sansalvador




Texte intégral :

Dans la lignée de ses nombreux travaux de linguistique et de théorie littéraire, Carmen Bobes Naves, professeur émérite de l'Université d'Oviedo à qui on doit l'introduction et la promotion des études de sémiotique en Espagne, nous livre un petit ouvrage intitulé La metáfora, publié dans la célèbre collection Biblioteca Románica Hispánica. S'inscrivant dans le style très caractéristique de son auteur, La metáfora affiche un souci simultané de vulgarisation théorique et de précision conceptuelle. Cela se traduit par un double travail de présentation des grandes théories historiques sur la métaphore, depuis les traités de rhétorique classique jusqu'aux derniers apports de la linguistique pragmatique, et d'analyse critique de ces mêmes théories, pour aboutir au fil des pages à une conception personnelle de cette figure incontournable de la création littéraire qu'est la métaphore.

La démarche sémiologique suivie détermine la structure de l'étude qui s'ouvre par une introduction consacrée à la délimitation de l'objet d'analyse, la métaphore littéraire. Pour cerner ses limites, l'auteur l'oppose aux métaphores du " parler quotidien " d'un côté, et aux métaphores des " langages spéciaux " de l'autre. Les premières ont pour caractéristiques d'être anonymes et d'appartenir à une communauté linguistique ou culturelle dont elles traduisent le système de valeurs. Elles apparaissent habituellement comme une façon de rapprocher les concepts abstraits du champ empirique humain. Les deuxièmes renvoient aux " langages spéciaux ", notamment à la philosophie et à la théologie. Elles soulèvent des problèmes et des débats particuliers, dont Carmen Bobes Naves nous offre un aperçu rapide, mais dense. Les rapports problématiques entre l'emploi de la métaphore et la vérité visée par le discours philosophique ont été soulevés par Aristote qui se méfie de l'utilisation abusive de cette figure chez Platon pour donner une présence physique à des concepts abstraits. Ce débat culmine dans les discussions qui par ouvrages interposés ont opposé Jacques Derrida et Paul Ricoeur : Derrida condamne les métaphores mortes qui, reprises sans cesse par les philosophes, font tomber le discours philosophique dans une auto référentialité dangereuse, Ricoeur y voit au contraire un outil privilégié de la connaissance.

Revenant sur la métaphore littéraire, l'auteur pointe ses ressemblances avec les types de métaphores déjà évoqués, dont la plus significative est le procédé d'identification : le récepteur reconnaît le trope par l'impossibilité d'accepter la référence réelle du terme métaphorique, car il est étranger à l'isotopie générale du discours. Au-delà de ces ressemblances, le trait spécifique qui définit la métaphore littéraire par rapport aux autres est son ambiguïté. Dans un premier temps, cette déclaration semble d'autant plus rapide qu'elle ne s'accompagne pas de précisions complémentaires. Il faudra attendre une centaine de pages et un parcours à travers deux millénaires de théorie littéraire pour arriver à une analyse des mécanismes de l'ambiguïté. Ces mécanismes sont décrits dans le cadre d'une présentation de l'approche interactive de Black, qui définit la métaphore comme " un processus sémantique qui met en relation deux termes avec toutes ses possibilités combinatoires (de dénotation et de connotation), dans une lecture ouverte, et qui donne lieu à un sens métaphorique nouveau " . C'est dans la faible hiérarchisation des " possibilités combinatoires ", c'est à dire, des référents et des connotations des deux termes de la métaphore, qu'on trouverait le fondement de l'ambiguïté.

Avant d'en arriver là, Carmen Bobes Naves a présenté, tout au long de la première partie, les textes les plus significatifs sur la métaphore. L'ordre de présentation est pour le moins surprenant. A l'encontre d'une logique chronologique, les romantiques ouvrent le bal. Ce privilège trouve son explication dans la lecture que fait Bobes Naves de l'histoire littéraire. L'auteur s'inscrit dans le courant qui réduit les conceptions sur l'art produites par la culture occidentale à deux attitudes fondamentales : l'approche mimétique, pour qui l'art est une imitation de la nature, et l'approche créatrice, pour qui le poète est un démiurge dont la création rend à la nature l'unité dont elle est dépourvue à l'origine. La rupture se fait avec l'émergence du mouvement romantique. De cette distinction découlent deux théories distinctes de la métaphore. La théorie romantique est fondée sur la philosophie idéaliste de Fichte et de Schelling. Elle fait de la métaphore l'instrument de la connaissance, chargé de découvrir dans la conscience du sujet l'unité d'une nature à l'apparence chaotique. La théorie classique est ensuite largement exposée à travers des extraits commentés d'Aristote, Cicéron, Quintilien, G. de Vinsauf, Castelvetro, Minturno, Fernando de Herrrera, Francisco de Cascales et Ignacio de Luzán. Elle peut être résumée ainsi : par la métaphore, le poète nous montre les analogies qui préexistent dans la nature. Ce parcours historique termine par la présentation des théories contemporaines de la métaphore, parmi lesquelles Carmen Bobes Naves affiche une préférence pour l'approche interactive. La perspective historique est ensuite abandonnée au profit d'une série d'analyses strictement sémiotiques. L'auteur s'inspire de la célèbre distinction entre les niveaux syntaxique, sémantique et pragmatique de l'énoncé pour construire un plan en trois parties avant de terminer par une série de typologies de la métaphore qui s'appuient successivement sur des critères ontologiques, philosophiques, linguistiques, sur le degré de complexité de la métaphore et sur le degré de ressemblance des termes.